Lizeth Heliandil

#61

J’avais bien conscience que Galadriel ne pourrait pas m’aider si j’omettais un seul détail, aussi lui contai-je toute l’histoire. Je lui parlais du pendentif, de ce que j’en ressentais, des nombreuses rencontres avec Gologmolva et de ces rêves prémonitoires, qui s’étaient complétés et manifestés à certains points du voyage. Je voyais bien sur le visage de la sage Elfe qu’elle savait déjà tout ce que lui disait, néanmoins je supposais qu’elle souhaitais avoir ma version des faits.

- La possibilité de voir l’avenir est une forme complexe de magie, très rare. Tes pouvoirs ont dû se développer à mesure que tu maîtrisais ton pendentif.
- Sans lui, je n’aurais jamais eu ces rêves, alors ?
- Tu ne les aurais pas eu si jeune, non. Mais tu l’avais déjà en toi. Le pendentif exacerbe tes pouvoirs innés.

Je me remémorais la conversation que j’avais eue avec Amynduilas alors que nous étions bloqués dans les Galgals. Il avait parlé des dons que nous possédions tous et qui se manifestaient avec plus ou moins de force. Dans un autre contexte, savoir que j’avais la capacité innée à faire des rêves du futur m’aurait sûrement beaucoup plu, mais si ce que j’ai vu était ce qui m’attendait, je préférais renier ce don, plier valise et m’enfuir le plus loin possible.

- Peut-être est-ce ce que l’ennemi recherche en moi, exploiter mon don pour pouvoir voir les événements à venir, et s’en servir pour vaincre les Défenseurs de la Terre du Milieu.

Galadriel me sourit.

- Comme je te l’ai dit, c’est un pouvoir extrêmement rare et qui met une éternité à se développer. C’est pour cela que les races immortelles sont celles qui le possède le plus souvent. Mais il est fort possible, en effet, qu’ils utilisent le pendentif pour accélérer le processus afin d’en tirer profit.

J’avais peine à croire ce qu’elle disait, mais d’un côté, cela avait du sens et répondait à de nombreuses questions. Cette révélation ne m’enchantait guère, cependant.

- Mon père est donc lié à cette histoire. Pensez-vous qu’il a pu être manipulé pour fabriquer le collier ? demandai-je, espérant qu’elle réponde par l’affirmative.
- Je ne sais pas. Peut-être… nous n’avons pas les moyens de l’affirmer, répondit Galadriel, soudain troublée.

Je me levai, repensai à tout cela en tripotant l’un des arbustes sur le côté du chemin. Je soupirai alors, ne trouvant pas de solution viable. D’un côté, si j’abandonnais maintenant, j’abandonnais toutes mes chances de sauver Mère, et qu’elle soit ou non du côté de l’ennemi, cela ne changeait rien au fait qu’il fallait que je tente le coup. D’un autre côté, l’avenir des alliés était plus important. Des sacrifices étaient faits tous les jours.

- Galadriel, si je vous pose deux autres questions, pourriez-vous y répondre avec le plus d’objectivité possible ? l’interrogeai-je en me tournant vers elle.
- Mais bien sûr Lizeth, je t’écoute.

Du coin de l’œil, je pouvais voir mes amis en grande conversation. Une cinquième personne les avait rejoints. Je ne l’avais jamais vue, mais il y avait chez elle quelque chose de familier.

- Lizeth ? Tu voulais me demander quelque chose ? me demanda Galadriel en posant une main sur mon épaule.

Je sursautai, et me remis vite fait les idées en ordre.

- Oui. Hum… S’ils utilisent ce pendentif pour accélérer le processus, peuvent-ils aussi s’en servir pour... me changer ?
- Comment ça ?
- Pour me rendre mauvaise ?
- Je ne pense pas que l’esprit qui habite ce bijou, Chandra, te pousserait à faire quoi que ce soit de mal qui changerait ta manière d’être.
- Elle peut pourtant prendre possession de moi…
- Si c’est ce que tu te demandes, ce n’était pas Chandra dans ton rêve qui te dirigeait.

C’était l’autre moi, la ténébreuse. Un frisson me parcourut.

- Détruire le pendentif ne résoudrait pas tous les problèmes ? m’enquis-je, plus sèchement que je ne l’avais imaginé.

Il s’agissait de la véritable question, la plus importante, celle qui déciderait de la suite des événements. Je ravalai ma salive, et sentis mon cœur battre plus fort dans ma poitrine.

- Après s’être donné tant de mal à le réparer ? Lizeth, si tu parles d’un sacrifice, crois-moi, c’est une idée bien loin de… hésita-t-elle. Je ne pensais pas que tu étais le genre de personne à abandonner aussi vite.
- Vous m’avez dit que vous répondriez objectivement. Vous êtes une personne importante, les gens écoutent vos conseils, vous possédez des terres menacées comme bien d’autres, alors répondez-moi avec franchise. Si faire disparaître ce pendentif permettait aux alliés d’avoir plus de chances contre le Seigneur Ténébreux, demanderiez-vous à ce qu’il soit détruit ?

Galadriel resta pensive, et le silence s’installa entre nous. Au bout d’un moment, je sortis le pendentif de ma poche. Il était si léger. Je caressai ses motifs du bout du pouce, et repensai à mon rêve. Je ne ressentais pas de la peur, mais à la place une sorte de honte, pour oser laisser passer cela. J’avais honte d’être devenue aussi faible, car comment se pouvait-il que je cède au Mal en en sachant les conséquences ? Et Galadriel qui mettait tant de temps à répondre. Ça n’était justement pas sorcier, il valait mieux un sacrifice que risquer de donner l’avantage à l’ennemi. Il valait mieux que ce soit moi qui prenne la décision pour moi-même. Elle n’aurait pas ma mort sur la conscience. Elle hésitait peut-être pour cela.

Je m’obligeai à me calmer, tentai de chasser la peur de la fin pour penser au bien que cela ferait au monde. J’allais déjouer les plans de Gologmolva, car il s’agissait bien de cela, sinon pourquoi s’exhortait-il à me garder en vie ? Il avait besoin de moi, me poussant au maximum pour en tirer le maximum. Je vis la pierre sur le côté du chemin, elle semblait taillée pour ce que je prévoyais de faire l’instant d’après.


Malgré ce qu’avait dit Chandra, sur sa peur de disparaître, elle ne s’était pas manifestée pendant ma réflexion, comme elle l’aurait fait d’habitude. Approuvait-elle ma décision ? S’inclinait-elle ?

- Laissez-moi vous aider à prendre cette décision, Dame Galadriel, dis-je à voix basse.

Je me baissai et ramassai la pierre, en même temps que je posai le pendentif sur une dalle du chemin. Je levai alors la pierre, me préparant à frapper le plus fort possible sur le bijou. Alors que je portai le coup, une force m’en empêcha. Galadriel avait porté ses mains au visage, surprise de mon geste. Elle ne tentait donc pas de m’arrêter. Une brûlure entourait mon poignet, et continuait de me lacérer la chair.

C’était Chandra. Elle était là, comme la première fois qu’elle s’était manifestée, et qu’elle avait pris la forme d’une femme de feu. Galadriel pouvait la voir et il sembla que les autres aussi car ils s’étaient précipités vers nous, les armes sorties. Je pus alors voir de plus près l’inconnue qui s’était jointe au groupe tout à l’heure, et c’est alors que la vérité me frappa. Elle ressemblait beaucoup à Amynduilas : les mêmes yeux, la même manière de pincer les lèvres, seuls les cheveux châtains étaient différents. Était-ce une sœur dont il ne m’avait pas parlé ?

- Je ne te laisserai pas détruire le pendentif, Lizeth, dit Chandra, m’arrachant à mes pensées. Tu n’as pas réellement idée des conséquences que cela aurait.
- Ma vie n’a pas d’importance, LAISSE-MOI FAIRE ! lui criai-je, furieuse.
- Hors de question ! Amynduilas, je vais avoir besoin de toi !

Ah, mais que lui voulait-elle maintenant ? J’étais tellement agitée que j’avais l’impression de brûler de l’intérieur. Et comme Chandra continuait de me tenir le poignet fermement, j’étais bien incapable de bouger. Le Chasseur s’approcha timidement. Quel spectacle devais-je donner !

- Prends le pendentif, et garde le bien précieusement, et ne le lui remets que lorsque tu la sentiras digne de le porter. Je vais la faire dormir à présent, pourras-tu rester auprès d’elle ?
- Mais de quoi je me mêle ?! m’offusquai-je.
- Ai-je ta parole, Amynduilas ? demanda Chandra en m’ignorant royalement.
- Oui.
- Parfait.

Je n’en vis, ni n’entendis plus. Un voile de ténèbres tomba devant mes yeux et je me sentis tomber dans le vide.

#62

La première chose que je vis en me réveillant fut un entrelacs de branches. Il recouvrait le plafond et formait un treillis régulier de couleurs vertes, jaunes et marrons. Il régnait également une atmosphère calme, et la lumière ambiante indiquait que le soleil était sur le point de se coucher. J’entendais aussi un petit vent qui soufflait dans les arbres au dehors.

Amynduilas était là, debout contre le mur, les bras croisés et les yeux clos. Je me demandais depuis combien de temps il était là à attendre. Je me rappelais alors ce que Chandra avait dit, ce qu’elle lui avait demandé. Il avait accepté sans hésiter de garder le pendentif jusqu’à ce que je sois prête à le porter de nouveau sans vouloir le détruire. Cette spontanéité m’avait frappée, j’étais d’un côté touchée qu’il ne veuille pas que je meure, et furieuse d’autre part, car il allait à l’encontre de ce que je désirais. Car je désirais éviter à tout prix que mon rêve se réalise, donner à Gologmolva et à ses sbires le pouvoir de voir l’avenir, de détenir la puissance de Chandra que je nourrissais chaque jour un peu plus.

C’est alors qu’elle apparut, cette fille qui ressemblait à Amynduilas. Elle s’approcha doucement de lui et posa sa main sur son épaule. Le Chasseur sursauta légèrement et tourna la tête vers elle, en lui souriant. Elle lui fit signe de la suivre, et j’eus juste le temps de refermer les yeux lorsqu’il me regarda avant de sortir. Ils restèrent à l’extérieur de la chambre et commencèrent à chuchoter.

- Tout va bien ? murmura-t-elle.
- Jusqu’ici, oui, répondit Amynduilas.
- Et tu comptes rester là longtemps ? demanda la jeune fille, un soupçon de reproche dans la voix.
- Je tiens à être là lorsqu’elle se réveillera.
- Tu n’as pas vraiment eu le choix, il faut dire.
- Amyniel…

Je levai un sourcil et laissai échapper un lourd soupir. Elle faisait bien partie de la famille d’Amynduilas en fin de compte. Une seconde plus tard, je me rendis compte que ma réaction avait été remarquée et me mordis la langue alors que j’entendais leurs pas s’approcher de mon lit.

- Depuis combien de temps es-tu réveillée ? me demanda Amynduilas.
- Quelques minutes, répondis-je, ouvrant enfin les yeux.

Je vis alors le visage d’Amyniel. Il n’était pas mauvais, comme je l’espérais, mais il affichait un léger sourire – le même que celui d’Amynduilas, ce qui m’exaspérait un peu. Elle restait un peu en retrait, les mains derrière le dos, et avait l’impression de ne pas tenir sur place. La regardant avec insistance, Amynduilas intervint :

- Rosalynd, je te présente Amyniel, Amyniel, voici Rosalynd.
- Rosalynd ? dit Amyniel. J’ai pourtant entendu Dame Galadriel l’appeler Lizeth.
- Ah, c’est que…
- Je m’appelle Lizeth, l’interrompis-je. C’est en fait mon vrai nom, Rosalynd était juste un nom d’emprunt, mais cela fait longtemps qu’il n’a plus lieu d’être.

J’avais dit cela avec le plus grand calme. Cela faisait des mois que je portais ce nom, que j’avais adopté pour me cacher des Semi-Orques. Mais cela faisait aussi bien longtemps que j’avais été découverte. Je n’avais plus de raison de me cacher. Je vis qu’Amynduilas était un peu gêné par mon intervention.

- J’aimerais que l’on m’appelle par mon vrai nom à partir de maintenant, si cela ne te dérange pas.
- Cela peut s’arranger, répondit Amynduilas au bout de quelques secondes, visiblement soulagé et m’offrant un sourire.

Je le réalisai tout à coup, mais par cette demande, je changeais un peu le futur. Réaffirmer mon identité, c’était renforcer ce pour quoi je me battais, et si l’on m’empêchait de prendre le chemin le plus direct, je prendrai alors des chemins détournés.

- Bien, je vais te laisser en tête à tête avec lui Lizeth, je dois filer ! s’exclama Amyniel en me faisant un clin d’œil. Il y a un troupeau de sangliers au nord de la ville, j’ai bien envie d’une petite séance d’entraînement.
- Tu sais bien que la chasse est gardée dans le coin, Amyniel.
- Je ne t’ai pas dit de combien j’irai au nord, hé hé, ricana-t-elle.
- Sois prudente alors, sois rentrée pour avant notre départ.
- Oui, papa… répondit-elle sur un air enfantin en levant les yeux au ciel.

Et elle sortit. Quant à moi, je dévisageai Amynduilas en entendant ces derniers mots.

- Papa ? murmurai-je avec une pointe d’insistance. Je devais avoir les yeux ronds comme des assiettes.
- Amyniel est ma fille, en effet, déclara-t-il. Je n’ai pas l’habitude d’en parler, peu de gens sont au courant, d’ailleurs.
- Tu n’as pas besoin de te justifier, Amyn. Je suis juste … surprise. Tu es encore un jeune Elfe.
- C’est un peu pour cette raison que je préfère garder Amyniel en dehors de toute conversation.
- Sa mère… était-ce cette personne que nous avons rencontrée à Bree ?

Amynduilas ne put se retenir de rire. Je rougis jusqu’aux oreilles, embarrassée.

- Il n’y a pas de quoi rire, c’est ce que l’on récolte quand on n’en dit pas grand-chose ! me défendai-je.
- Pardonne-moi, cela faisait longtemps que je n’avais autant ri !
- Ravie de te remonter le moral… Enfin… pour en revenir à ce que nous disions, j’ai probablement parlé trop vite. A moins qu’elle tienne tout de toi, il n’y a rien qui viendrait de Lissenka, c’est vrai.
- La mère d’Amyniel était l’exact opposé de Lissenka, commenta Amynduilas, redevenu sérieux.

« Etait ». Ce verbe au passé ajouta du poids à l’ambiance. Le silence tomba, et les sourires s’effacèrent. Le regard d’Amynduilas reprit son apparence à la fois mystérieuse, et à la fois triste. Je compris des tas de choses à ce moment-là. Cela expliquait pourquoi il se tenait souvent à l’écart, pourquoi il marquait toujours cette espèce de barrière, entre lui et les autres, ou entre lui et moi.

- Je… pardonne-moi. Je ne voulais pas raviver de… mauvais souvenirs, dis-je maladroitement.
- C’est le genre de conversation qui devait arriver, tu n’es pas en faute, Lizeth, me dit Amynduilas, peiné. Je ne me sens cependant pas prêt de développer sur le sujet, pas pour le moment.
- Je comprends.
- Bien, et si on parlait de ceci ? m’interrogea-t-il avec la ferme intention de changer de sujet.

Amynduilas sortit de sa poche mon pendentif et le fit osciller comme un pendule. Il allait falloir mettre cartes sur table.