BGSO n°2 : Une histoire d'ours
par Orriath Aryndion
Une étoile filante traversa le ciel noir d'une fraîche nuit. Une légère brise me caressait doucement les joues. La nuit était calme et paisible. Assis sur un gros rondin devant la cabane d'Irileith, je contemplais l'immensité du ciel, perdu dans mes pensées. Cette journée avait été particulièrement mouvementée. D'abord mes compagnons que je considérais comme mes frères et sœurs, étaient partis dans le sud, vers Caras Galadhon, dans l'espoir de retrouver Rosalynd. Puis juste après leur départ du Val, Belariforg s'était remontré et aurait achevé Irileith sans l'intervention miraculeuse d'Athrador. Et pendant tout l'après-midi, ce dernier s'était occupé de la Béornide, de ses blessures, et de moi-même.
La porte de la cabane d'Irileith s'ouvrit et un Béornide, sous l'apparence d'un grand homme aux courts cheveux noirs, en sortit. Il me tira de mes pensées. J'avais connu Athrador quelques années auparavant, lors d'un voyage entre Dol Amroth et Fondcombe. Je traversais la Houssaye quand je suis tombé sur une caravane de marchands itinérants attaqués par des Orques et des Semi-Orques. Athrador escortait ces marchands vers Fondcombe. Je me suis joint à cette lutte et les Orques furent durement repoussés. Athrador me remercia et me proposa de les accompagner jusqu'à Fondcombe. Nous nous sommes vite liés d'amitié et par la suite nous avons fait de nombreux voyages ensemble.
Athrador s'assit à côté de moi et poussa un long soupir. Il contempla à son tour l'immensité du ciel, en silence. Il se tourna finalement vers moi.- Elle s'en sortira, me rassura-t-il, ses blessures ne sont pas aussi grave qu'elles en ont l'air.
- Merci pour ce que tu as fait pour elle, lui répondis-je avec un sourire amical.
Le silence retomba doucement. Seul le bruissement du vent sur les feuilles agitait ce moment tranquille. Cette scène me remémora quelques années auparavant, Athrador et moi-même assis sur une ruine du lac Evendim, près du Colosse. Nous venions alors d'achever la mission d'un ami marchand qui se rendait à Tinnudir. Il nous avait demandé de l'escorter à cause des pilleurs qui étaient de plus en plus nombreux aux alentours d'Annuminas. Ce même vent : calme et paisible, après une journée bien mouvementée. Je finis par briser cet apaisant silence.- Quand pourrions-nous partir vers Caras ?
Les paroles d'Orchysdal résonnaient encore dans ma tête et je ne voulais pas définitivement perdre mon ancienne famille.- Ils te manquent déjà ? plaisanta Athrador.
- Oui, un peu... Mais j'ai surtout une immense dette envers Rosalynd. Je voudrais pouvoir la lui rendre en l'aidant à sauver sa mère.
- ... Il faudrait qu'Irileith se soit bien remise et éventuellement prête à un combat si vous rencontrez quelques Orques sur votre route... Pas avant quatre jours je dirais.
- Quatre jours... Belariforg pourrait revenir ? m’enquérais-je.
- Peut-être qu'il reviendra chez lui, mais je doute qu'il se réattaque à sa sœur et …
- Sa quoi ??? m'étonnai-je en bondissant du rondin.
- Oui, Belariforg est le frère aîné d'Irileith.
Je n'en croyais pas mes oreilles. Cette étrange annonce me coupa la parole.- Mais... comment est-ce possible ? demandai-je en me rasseyant auprès d'Athrador.
- Bëorn a eu deux fils : Ehgorn et Grimbeorn. Ce dernier, Grimbeorn, l'actuel chef du Val, est de trois ans le cadet d'Ehgorn.
J'allais lui couper la parole pour en savoir plus sur cet Ehgorn mais je me retins.- Ehgorn est donc le fils aîné de Bëorn. Il y a une quarantaine d'années, il épousa Varlya, une jeune Béornide du nord du Val. Ils eurent trois enfants : Belariforg, Irileith et Ahneorn.
Cette histoire était décidément de plus en plus étrange. J'avais un peu de mal à suivre.- Une magnifique petite famille qui vivait tranquillement au Carrock. Mais en août 2998, il y a vingt ans, un grave accident arriva dans le Val. D'un petit feu dans un bosquet, un grand incendie ravagea la moitié sud du Val. De nombreux Béornides perdirent leurs maisons, et pour certains... leurs proches...
Athrador avait parlé avec une telle gravité que je me doutais bien qu'il avait beaucoup perdu durant cet incendie. Mais je ne savais pas quoi, il n'en avait jamais parlé auparavant.
- Ehgorn et Varlya sont morts c’est ça ? terminai-je sa phrase.
- Oui... en essayant de sauver Ahneorn de leur maison qui brûlait...
Je vis dans les yeux d'Athrador un mélange d'une tristesse extrême et une colère sans nom.- Mais... commençai-je en cherchant une question
- Oui ? me demanda-t-il en sortant de ses pensées.
- Mmh... tu étais ici pour tous ces événements ? Je croyais que tu étais orphelin.
- Oui c’est exact. Je n’ai jamais connu mes parents. Bëorn m'a trouvé devant chez lui, alors que je n'étais qu’un pauvre bébé. Il m'a élevé comme son propre fils, comme le frère jumeau d'Ehgorn. Après l'incendie, j'aurais dû recueillir Belariforg mais étant seul, je l'ai confié à Bëorn, son grand-père. Malheureusement, ce dernier mourut moins d'un an après et le jeune Béornide ambitieux qu'est Belariforg, a été confié à Grimbeorn qui l'entraîna durement au combat. Maintenant, je regrette d'avoir quitté le Val devant cette tâche. Belariforg est une machine de guerre.
- Mais dans ce cas-là, pourquoi il en veut à sa sœur au point de vouloir la tuer ?
- Mmh... c'est plus compliqué là... Je crois qu'il a réussi à faire croire aux Béornides que c'était elle qui avait volontairement mis le feu au Val. Pourquoi ? Je ne sais pas du tout. Il s'en est pris à sa sœur en public mais, contrairement à ce qu'il espérait, elle l'a plus au moins humiliée et Grimbeorn s'est moqué de lui. Elle avait alors la haine de son frère dans le dos et elle est partie du Val un beau matin, vers l'Eriador.
- L'ego de Belariforg a dû prendre un sacré coup, plaisantai-je.
- Le fait qu'elle revienne ici a dû réveiller sa haine. En tout cas, tous les autres Béornides ont apparemment compris que c'était une fausse accusation. Personne n'a remué le petit doigt quand vous êtes arrivés avec Irileith.
- En même temps, quand tu vois une vingtaine de personnes, parées pour attaquer Dol Guldur, débarquer, tu ne bouges pas beaucoup.
J'essayais de détendre un peu l'atmosphère, surtout Athrador qui était nerveux. Cela marcha : ses lèvres s'étirèrent légèrement vers ses oreilles.
Tout était d'un calme parfait. Même le vent froid de la nuit avait été chassé par les pâles rayons du Soleil atteignant déjà l'horizon lointaine, bien à l'est des Monts de Fer. La lune, elle aussi, laissait petit-à-petit la puissante lueur du Soleil prendre la place de sa blanche lumière. Le ciel s'éclaircissait de plus en plus et, loin à l'est, se pâlissait devant le Soleil. Contrairement à la frontière est désertique de la Terre du Milieu, la partie ouest, l'Eriador, était encore plongée dans l'obscure clarté du jour levant. Le froid de la nuit s'était emporté et dissipé sur les hauts sommets des Monts Brumeux. Le doux chant des oiseaux matinaux résonnait déjà du haut des cimes des grands pins du versant de la Montagne. Le flot calme et continu de l'Anduin berçait encore le Val, alors que les nombreux animaux des bois voisins venaient s'y hydrater. La nature s'animait comme par magie, après une fraîche nuit où toute vie avait disparu. Nous contemplions cet étonnant réveil.
Athrador finit par se lever, me tirant de mes réflexions.-Viens voir, me dit-il. Il y a quelque chose qui t'attend à l'intérieur.
Encore bouleversé des étranges annonces qu'il m'avait fait durant cette nuit, je me contentai de le suivre. Il ouvrit la porte de la cabane d'Irileith. Nous entrâmes dans une large pièce où trônait une imposante table de sapin en plein milieu. Une petite cheminée discrète se cachait entre la table et le mur tout aussi sombre que le reste du mobilier. Un chaleureux feu accueillait les voyageurs. La pièce était aussi éclairée par un lustre suspendu au centre du plafond, contenant une dizaine de bougies qui essayaient tant bien que mal de percer les ténèbres de la nuit. Un escalier longeait le mur de droite pour atteindre le premier étage, une simple chambre. Le mobilier était lourd, rustre et peu décoré, sombre par le bois dont il était fait. Ce style pauvre et campagnard des Béornides montrait qu'ils ne se souciaient peu de la vie à la maison. Cette façon de construire et d'aménager les maisons me fit repenser au Rohan, les habitations construites entièrement en bois, l'espace restreint de la chambre et des pièces peu importante, la grande taille de la pièce à vivre... Je repensais à cette merveilleuse région quand Athrador ouvrit une porte sous l'escalier. Cette salle devait être la cuisine : un imposant four mangeait une partie de la pièce. Une table, très semblable à celle de la pièce à vivre mais plus petite, prenait une autre grande partie de la salle. Le style de décoration n'avait pas changé, seul quelques casseroles se suspendaient aux poutres, près du four. Sur la table de sapin, deux bassines, l'une d'eau propre et l'autre remplie d'un liquide rougeâtre, étaient posées près du bord. Une quantité assez importante de linges blancs, pour certains imbibés d'eau et les autres parsemés de nombreuses tâches sèches et rouges, s'entassaient dans un coin de la pièce. Quelques couteaux, pas encore lavés de leur sang séché, étaient plantés dans la table, près des bassines. Une flaque rouge, dans laquelle tombaient encore quelques gouttes, s'étendait sur le sol de pierre. Mon rythme cardiaque s'accéléra. Que s'était-il passé ici ? Mon visage devait traduire une forte inquiétude car Athrador eut un sourire amusé en me voyant. Je fis le tour de la table. Une troisième bassine était posée, cette fois, sur le bord du four et une barre métallique y était plongée. D'autres gouttelettes tombaient dans une plus grande flaque, au bout de la table. Soudain, derrière moi, un bruit de casseroles s'entrechoquant résonna dans la pièce. Cherchant toujours la réponse à la scène qui s'était produite ici, je n'y prêtai aucune attention.-Bonjour Orriath, me dit une voix dans mon dos.
Je fis volteface. Mais je ne me souvenais que trop bien de cette voix. Une silhouette se tenait sur le seuil de la porte. Une personne fine et élancée.Irileith me souriait.